« La Bio dans les Étoiles » : l’avenir de l’alimentation bio dans les territoires ruraux

Annonay – 13 Mai 2022

« Comment nourrir demain ? »

Le 13 mai dernier, notre collègue Nicolas a participé à l’évènement la Bio dans les Étoiles, qui se déroulait à Annonay (Ardèche). Cet événement vise à sensibiliser les publics et à développer de nouvelles pratiques dans l’alimentation.

Alimentation bio et ruralité(s)

La Bio dans les Étoiles est un événement autour de l’alimentation bio et durable, organisé depuis 12 ans par La Fondation Ekibio.

Autour d’ateliers thématiques, de retours d’expériences, de conférences et de tables rondes, la journée vise à donner envie aux acteurs locaux d’agir en faveur d’une alimentation de qualité, bio et locale et plus largement, d’une écologie alimentaire.

L’objectif est de donner aux élus et professionnels, mais aussi aux citoyens, des outils pour agir sur leurs territoires.

Nous partageons ici quelques points forts d’une des tables rondes.

Passage à l’action de 3 communes

Les intervenant.e.s de cette table ronde ont donné un éclairage sur la situation de leur commune, entre passages à l’action et difficultés rencontrées.

Invité.e.s :

  • Carole Berlou, adjointe au Maire de Cazouls-Lès-Béziers (Hérault), déléguée à l’éducation et à la restauration
  • Fanny Lacombe, maraîchère municipale – commune de Cazouls-Lès-Béziers
  • Camille Perrin, conseillère municipale déléguée à la résilience alimentaire de Dieulefit (Drôme)
  • Edouard Chaulet, maire de Barjac (Gard)

Commune de Cazouls-Lès-Béziers

Cazouls-Lès-Béziers est une commune située dans le département de l’Hérault, qui compte environ 5 100 habitants. Elle fait partie de La Domitienne, communauté de communes en Biterrois.

Une perte de sens pour les professionnels

A Cazouls-Lès-Béziers, la cantine (en prestation de services) sert quotidiennement près de 550 jeunes scolarisés. L’équipe élue a constaté certaines dérives de l’industrie agro-alimentaire : gaspillage, sur-emballage et déchets plastiques. Pour les professionnels en cuisine, parfois cantonnés à réchauffer des barquettes, cela représentait une véritable perte de sens. En réponse, la commune a donc décidé de se mobiliser pour faire autrement.

Création d’une cuisine centrale 100% bio

Cuisine centrale, Cazouls-lès-Béziers, la Bio dans les étoiles
Cuisine centrale, Cazouls-lès-Béziers © Midi Libre

Suite au retour d’expérience d’autres communes, l’équipe municipale a entrepris des travaux pour créer une cuisine de 140 m² et un réfectoire de 250 m². La commune a également recruté un responsable de cuisine en charge des approvisionnements, de l’organisation, de la qualité et de la traçabilité, un chef de cuisine et a réaffecté deux employés. Cela a pris un an et un investissement de 300 000 €. Résultat : la fréquentation de la cantine est en hausse.

Afin d’apporter un contrepoids à la dominante viticole du territoire et à l’absence de maraîcher local en bio pour s’approvisionner, la mairie a lancé en parallèle une régie agricole. Elle a également recruté une maraîchère municipale pour s’occuper d’une parcelle de 6000 m², dont 650m² de serres. Cette dernière produit les légumes pour la cuisine centrale.

Un processus constant mais complexe d’amélioration

La commune de Cazouls-Lès-Béziers souhaite poursuivre cette dynamique en relocalisant les jardins familiaux et le jardin pédagogique sur la parcelle attenante à celle en maraîchage pour la cantine. Une réflexion est en cours pour fédérer et faciliter l’installation d’autres maraîchers ou d’arboriculteurs et limiter ainsi la monoculture en vigne. Cela implique une vigilance sur l’urbanisation et le développement de grosses exploitations.

A cela vient s’ajouter le sujet de la gestion des stocks et des excédents de production. De fait, la commune ne peut pas vendre ses surplus en tant que collectivité car cela est considéré comme de la concurrence déloyale au secteur privé.

Par conséquent, une réflexion est en cours sur la conservation par surgélation. En effet à ce stade, il n’y pas de production de légumes pour la consommation l’été, les légumes d’été (tomates, aubergines, courgettes, …) sont donc actuellement produits en très primeurs pour la restauration des mois de mai/juin ou en tardifs pour septembre/octobre.

Enfin, la question de l’accompagnement à l’installation reste complexe. A l’époque du précédent PLU, la commune avait zoné un hameau agricole pour permettre l’installation d’agriculteurs proches de terres agricoles. Or, aucun agriculteur n’est venu s’y installer…

Commune de Dieulefit

Dieulefit est une commune d’environ 3 200 habitants, située dans le département de la Drôme. L’intercommunalité Dieulefit-Bourdeaux représente environ 9 000 habitants.

Formation d’un groupe de travail pour faire bouger les lignes

L’équipe municipale s’est appuyée sur les travaux de l’association Les greniers d’abondance (1)- https://resiliencealimentaire.org/. Cette dernière a mené un important travail d’analyse sur les menaces et leviers pour assurer un système alimentaire fiable et favoriser la résilience alimentaire.

A l’échelle de la commune, la réflexion autour du récit à inventer pour faire évoluer l’alimentation s’est concrétisée, avec un groupe de travail des acteurs locaux. Sa volonté était de lier les enjeux d’accessibilité pour le consommateur et de viabilité pour les agriculteurs.

Expérimentation de la Sécurité Sociale de l’Alimentation sur le territoire

Afin de répondre à ces deux enjeux, souvent contradictoires, le groupe de travail s’est inspiré des travaux autour de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA).

La SSA propose de décliner les principes de la Sécurité Sociale au secteur de l’alimentation pour éviter le sentiment d’assistanat chez les plus précaires. Les grands axes sont les suivants :

  • Universalité du mécanisme : ouvert à tous
  • Conventionnement par des Caisses Locales de l’Alimentation
  • Critères : local, bio, équitable, préserve la biodiversité
  • Choisi par les citoyens : dimension locale et politique des choix liés à l’alimentation
  • Cotisation : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Le groupe de travail a décidé d’expérimenter la SSA à l’échelle du territoire.

Création d’un marché bio à tarification libre

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Marché de plein vent, Dieulefit © Sécurité Sociale de l’Alimentation

A Dieulefit, cette SSA a pris la forme d’un marché de plein vent implanté dans un quartier mixte avec peu de commerces.

Dans ce marché, les producteurs proposent 3 tarifications :

  • Rouge – prix solidaire (125% du prix juste) : les consommateurs peuvent choisir la bille rouge pour permettre aux personnes les plus précaires de bénéficier du prix bleu.
  • Blanc– prix juste : permet au producteur de couvrir ses coûts et de se payer un salaire décent pour vivre de son travail.
  • Bleu– prix accessible (65 % du prix juste) : permet aux consommateurs les plus précaires de consommer des produits bio et locaux.

A la fin du marché les producteurs calculent le montant qu’ils auraient perçu si toute leur vente avait été faite au prix juste. En cas de surplus, l’argent est placé dans une caisse de solidarité. En cas de manque, les producteurs prennent le complément dans la caisse de solidarité.

Cette expérimentation sur 4 mois a bénéficié à 40 à 60 clients en fonction des semaines, dont 10 à 25 % en tarifs accessibles. Elle a généré 350 € de surplus dans la caisse. Ce surplus a permis de vendre via les réseaux d’aide alimentaire des légumes bio, locaux, frais et de saisons à 1€/kg.

Camille Perrin rappelle que le budget consacré aux Plans Alimentaires Territoriaux qui visent notamment la relocalisation de l’alimentation et la résilience alimentaire des territoires, mobilise autour de 10 Millions d’euros par an. Or, les montants de la défiscalisation par la grande distribution et l’industrie agroalimentaire pour l’aide alimentaire représente plus de 350 Millions d’euros par an. Le déséquilibre est flagrant.

A noter :
Aujourd’hui, l’aide alimentaire concernerait jusqu’à 8 millions de personnes. Elle ne constitue plus une aide d’urgence comme elle a été pensée au départ. Elle représente maintenant une dimension structurelle de l’accès à l’alimentation et une façon d’écouler des surplus ou des stocks de nourriture transformée de qualité médiocre.

Commune de Barjac

Située dans le département du Gard, la commune de Barjac abrite environ 1600 habitants. Elle appartient à la Communauté de communes Cèze Cévennes.

Un nombre d’agriculteurs en forte baisse

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Ferme « Grange des Prés », Barjac © Midi Libre

Il y a 33 ans la commune comptait 80 paysans, aujourd’hui il en reste 12 et 5 devraient demeurer d’ici 2030 compte tenu des départs à la retraite non remplacés.

En effet, pour le maire de Barjac c’est une histoire de choix politique, d’analyse et d’essais, tout n’est pas simple. Il y a 12 ans, la commune a acquis avec la Foncière Terre de Liens, la ferme « Grange des Prés », d’une surface de 120 ha. Ils sont aujourd’hui quatre agriculteurs sur cette ferme où il n’y en avait qu’un. Ils produisent de la lentille, du lait, des olives et de l’huile et dénombrent 6 troupeaux. Pour soutenir ses agriculteurs, la commune a investi dans une trieuse pour les lentilles et dans des équipements pour la production des produits laitiers.

En parallèle, un travail de fond a été engagé avec la SAFER sur les terres vacantes et sans maître. Cela a permis la reprise de 5 ha supplémentaires, mis en fermage gratuitement.

Utiliser l’agriculture biologique comme un levier

« La production biologique n’a de sens que si elle est locale. Consommer biologique si ce n’est pas de saison et que ça a traversé la moitié de la planète, c’est aberrant »

Édouard Chaulet – Maire de Barjac

Conserver un lien entre production végétale et élevage lui paraît essentiel car les animaux contribuent à la fertilisation pour les productions maraîchères et arboricoles.

Selon lui, l’argument du coût trop élevé de l’alimentation biologique ne tient pas. L’alimentation biologique serait, à son sens, un levier pour régler d’autres questions :

  • On manque de médecins mais une bonne alimentation contribue à la santé des populations et à la prévention.
  • L’éducation est en souffrance mais une alimentation de qualité contribue à l’attention et aux capacités d’apprentissage des enfants.
  • L’école est supposée être libre et gratuite. Toutefois, de plus en plus d’écoles se regroupent, imposant des déplacements aux familles et des frais de restauration. Cela peut représenter des budgets significatifs, créant des inégalités entre les familles.
  • Les agriculteurs ont du mal à vivre dignement de leur travail. Pour les soutenir, il est possible de diminuer les charges liées à la commune et de leur garantir des volumes et tarifs d’achats.
  • Les agriculteurs continuent d’avoir des pratiques dommageables pour eux, leur environnement, la santé, la planète. Il est essentiel de les former à faire autrement que ce soit en formation initiale ou continue.

A noter:
La commune de Barjac sert 250 repas à la cantine chaque jour.  De plus, elle sert 50 repas en portage via le CCAS aux personnes âgées avec un coût de 9€/repas. La crèche et l’EHPAD privé sont à un coût de 5€/repas.

Synthèse 

Guillaume Gontard, l’administrateur de l’association Un Plus Bio, co-organisateur et animateur de la journée, a insisté sur les enjeux de l’alimentation.

« L’alimentation c’est l’agriculture, le plaisir, le lien social, l’économie, l’accès et la justice sociale et la santé. »

Guillaume Gontard – administrateur de l’association Un Plus Bio

En outre, selon lui, de nombreuses initiatives locales existent mais il y a encore des efforts à faire. Il identifie un enjeu fort à passer à l’échelle supérieure pour déployer largement ce type d’initiatives.

A ce jour, 80 % des dépenses de l’alimentation en France vont vers des produits transformés. Guillaume Gontard est revenu à cette occasion sur le rapport d’informations réalisé par le Sénat sur la Sécurité sociale écologique. Pour construire une sécurité sociale écologique, le rapport préconise 48 propositions autour de quatre axes :

  • guérir la sécurité sociale de sa myopie et répondre à l’émergence des nouveaux risques et à un besoin de protection renouvelé,
  • mieux intégrer la prise en compte des risques climatiques dans notre modèle de financement de la protection sociale,
  • anticiper dans notre modèle de protection sociale les transformations de l’emploi,
  • concrétiser le droit à une alimentation saine et poser ainsi la première pierre d’une sécurité sociale alimentaire.

Les organisateurs de l’évènement

Créée en 2008, la Fondation Ekibio a pour mission de faire évoluer les consciences vers une alimentation plus saine, diversifiée et durable, en soutenant divers projets associatifs. Cela se traduit à travers plusieurs thématiques : produits issus des circuits courts, agriculture agroécologique, valorisation des protéines végétales, réduction des portions carnées.

Elle souhaite aider les citoyens, dès leur plus jeune âge et quel que soit leur milieu, à être conscient du rôle de l’alimentation dans la protection de l’environnement et de la santé.

La Fondation Ekibio a confié l’animation de cette journée à l’association Un Plus Bio. Les activités de cette association sont variées : Club des Territoires, Observatoire national de la restauration collective bio et durable ou encore laboratoire de réflexions et d’actions -la Fabrique. Elle s’attaque aux principaux chantiers qui font bouger les lignes du débat public.

Leur objectif est de « semer les graines d’une révolution alimentaire dont les citoyens, les élus et tous les acteurs concernés sont les ambassadeurs, les porte-voix et les « faiseurs«  » !

(1) – Pour plus d’information à ce sujet, vous pouvez lire notre Infolettre#4

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